Ça y est, la refonte de Jukebox a été dévoilée, ça s’est passé samedi dernier et vous avez été nombreuses et nombreux à répondre à l’appel et à manifester votre intérêt pour ce renouveau. On vous en remercie du fond du cœur, on ne le dit pas assez, mais c’est toujours très cool d’avoir du feedback direct sur ce qu’on fait. Cette réimagination de la marque est une étape importante pour nous à laquelle nous avons travaillé fort, et surtout, à laquelle nous avons réfléchi longuement. C’est que la pertinence d’une telle entreprise ne va pas de soi : to rebrand or not to rebrand, là est la question. Bon, la réponse, au final, vous la connaissez déjà, mais je sais que vous en voulez plus. Que vous brûlez d’envie de vous entasser les uns contre les autres dans notre bulle et vous blottir dans le confort douillet de notre intimité. Vous n’avez pas tort. C’est la réflexion derrière ce projet qui est intéressante et, qui plus est, les acteurs sont d’une craquance remarquable. Alors venez, entrez, mettez-vous confortable.
D'où venons-nous? Où allons-nous?
Grosses questions, right? Mais c’est important de commencer par la base. Je vais devoir y aller morceau par morceau. Quand même, je dois faire attention ici pour ne pas m’égarer dans les méandres de mes élucubrations. Afin que je ne me perdasse point, je vous confie, cher auditoire, le ti bout du fil d’Ariane qui tiendra ensemble tous les morceaux de cette réflexion : il s’agira ici de parler de marques de bières - Jukebox et Avant-Garde, en l’occurence, duh -, de leur genèse et leur enchevêtrement et comment nous en sommes arrivés, après quelques années, à une sorte d’impasse qui nous amène aujourd’hui à corriger le tir.
La genèse
Shawn Duriez était un garçon plutôt timide et manifestait déjà à l’âge de 4 ans les signes de repli sur soi typiques des gens extrêmement doués… non, attendez, je suis remonté trop loin.
Revenons plutôt aux débuts de Jukebox. C’est en 2012 que Renaud Gouin, jeune rockeur déguisé en banquier, crée la marque de bières Jukebox après avoir constaté l’absence relative de bières américaines houblonnées sur la scène locale (quel chemin avons-nous fait, non?). Fait important à noter, Jukebox a vu le jour comme une marque de bière - et non une brasserie - brassée en sous-traitance chez Brasseurs de Montréal à l’époque. C’est important dans l’histoire. C’était pas quelque chose qui était extrêmement courant en 2012 et je souligne au passage le rôle de défricheur qu’a joué Renaud pour ce modèle d’affaires assez courant aujourd’hui. Quoi qu’on puisse en dire et nonobstant les impacts de ce genre de pratique sur une industrie qui s’est rapidement saturé dans les dernières années, c’est un modèle d’affaires qui n’est pas bête et qui nous a permis, sur le long terme, une indépendance totale à l’égard d’hypothétiques partenaires qui ne pensent qu’en signes de piasses. Bref, je ne m’étendrai pas ici sur les enjeux relatifs au brassage à contrat, ça fera sans aucun doute l’objet d’un croustillant billet de blog futur.
À l’époque donc, on est en 2012, la West Coast IPA était ZE shit qui allait bientôt révolutionner la bière au Québec. La réponse pour Jukebox est bonne, mais les moyens de production et de distribution ne sont pas optimaux et il faudra attendre quelques années avant que la marque atteigne son plein potentiel avec un contrat de production chez Oshlag et de distribution chez Transbroue. On est au printemps 2016 là, et Katy Perry était au sommet des billboards avec Rise. Incidentellement, c’est aussi à ce moment que Renaud et moi lançons Avant-Garde, une deuxième marque de bière que nous devons mener en parallèle à Jukebox et avec une vision plus englobante de faire pas mal n’importe quoi SAUF ce que fait Jukebox.
Je sors d’où, moi? Bonne question, je suis content que vous la posiez. J’occupais un poste dans le département de brassage de la brasserie McAuslan depuis 2011, date à laquelle j’ai dropout de longues, mais enrichissantes études de littérature. Voyez-vous, j’ai suivi un parcours différent de Renaud pour arriver au même but; alors que lui poursuivait ses rêves microbrassicoles sur une voie davantage business, moi, j’optais à peu près au même moment pour l’apprentissage des connaissances pratiques et techniques dans l’industrie. C’est d’ailleurs pour ça, cette complémentarité des champs de compétences, que nous nous sommes courtisés, puis, éventuellement, unis. À ce jour, nos caractères diamétralement opposés donnent de la force à notre couple et nous cheminons ainsi dans notre vie professionnelle, relativement heureux, je pense. Toujours est-il que, fait non négligeable, la création d’Avant-Garde, l’existence même de la marque, est issue d’une espèce de négociation prénuptiale. Je m’explique. Comprenez que Renaud était réticent à me laisser entrer dans le confort douillet qu’il avait créé avec Jukebox. Je voulais des parts, bien sûr, du skin in the game, comme on dit et je pense que mon tempérament d’enfant extrêmement doué et d’une intelligence hors normes le menaçait légèrement, ça et tout ce qui va avec. Je suis désagréable et con, voilà, c’est dit, j’y travaille, mais sans grand succès. Blagues à part, c’est une décision difficile que de céder des parts d’une compagnie qu’on a créé de toutes pièces à la sueur de son front, seul, du fond d’un cubicule beigeâtre d’une institution financière. On a donc convenu après de longues discussions qu’il valait mieux que Renaud poursuive Jukebox de son côté et qu’on s’associe pour créer une seconde marque, qui serait complémentaire à l’offre déjà existante de bières américaines houblonnées. «Faisons tout le reste des styles de bière qui existent sur la planète, nous dîmes-nous. Apprenons ainsi à nous connaître et si ça va bien, on verra rendu là». Sage décision s’il en est une, les ratés en affaires et les partenariats dysfonctionnels, c’est pas ben beau. Reste que cette organisation des choses a eu son lot d’impacts à long terme et la navigation en parallèle de deux brands, c’est pas si simple que ça en a l’air, ça prend une vision marketing assez solide à la base - ce qu’on n’avait pas forcément - et une direction marketing unique qui s’étend sur deux compagnies distinctes, ça ne va pas de soi. C’est évident en rétrospective que l’une des marques allait cannibaliser l’autre, c’était juste une question de temps. Après tout, pourquoi se couperait-on de toutes ces ventes que représentent les IPA juste pour éviter de jouer dans la cour de Jukebox, right? De toute façon, tout le monde en fait des IPA, donc ça n’avait pas vraiment de sens qu’on s’en empêche avec Avant-Garde. C’est tout à fait vrai, et absolument justifiable comme raisonnement, mais le problème après, c’est de justifier l’existence de deux marques dont les visions respectives convergent doucement vers le même endgame: être plus populaire, prendre plus de parts de marché, vendre plus de bière. Faque ç’a commencé avec la Fashionista. En acceptant de brasser une IPA américaine DDH noress avec Avant-Garde, on venait de troubler l’équilibre des choses.
La suite des choses
Flash forward en 2018. C’est l’année qui a changé bien des choses pour nous, notamment sur le plan de l’endettement et des cautions personnelles. D’avoir piloté deux marques de bières pendant plusieurs années et de s’être taillé une petite place dans le marché québécois de la bière de micro nous a permis d’obtenir le financement nécessaire à la construction de notre établissement et de signer un bail commercial pour le local que nous occupons actuellement sur la rue Hochelaga, dans l’Esss de Montréal. C’était le plan dès le début et ça s’est concrétisé sans qu’on ait à s’associer avec des bailleurs de fonds hostiles à nos excentricités. Pour ce faire, il a quand même fallu fusionner Jukebox et Avant-Garde, consolider notre fortune accumulée et faire front commun dans notre projet de domination mondiale. Rendu là, on avait eu le temps de s’apprivoiser, Renaud et moi, tout allait bien, et ce fut une assez simple question de projections et de division des avoirs et des mérites entre deux personnes assez chill. Cela dit, d’englober une compagnie dans une autre, et surtout, de rassembler deux images de marque qui convergeaient déjà l’une vers l’autre sous l’égide d’une seule bannière tout en conservant une identité forte pour chacune, ça, c’était une autre paire de manches et, ultimement, ça a porté un coup dur à Jukebox au profit d’Avant-Garde, et c’est pas mal ce qui nous ramène au moment présent. On a choisi Avant-Garde comme porte étendard parce que c’est le projet qu’on avait construit à deux et ça paraissait normal que ce soit celui qui soit mis de l’avant. Cependant, on voyait déjà les complications que ça impliquait pour Jukebox, la confusion que ça pourrait aussi créer - que ça a créé - dans notre clientèle, etc. etc. On a même brièvement réfléchit à lancer une troisième entité qui engloberait Avant-Garde et Jukebox et permettrait de maintenir une relative égalité entre les deux marques, mais de présenter deux marques connues sous le nom d’une marque que personne ne connaît, je demeure convaincu que c’est le pire move qu’on aurait pu faire, sans compter qu’il aurait fallu construire et maintenir cette troisième entité et tout un discours alambiqué sur l’interpénétration de ce beau bordel, non, manifestement, ce n’était pas une option.
Facque c’est ça qui est ça, cher.ère.s lecteur.trice.s. c’est notre histoire en quelques mots et extrêmement simplifiée. Je vous avais dit qu’il s’opérerait, à travers ces lignes, un rapprochement sur le plan de l’intimité, j’espère que vous vous sentez bien pris.e.s en main. Mais ce n’est pas terminé, il me reste à conclure sur la question Où allons-nous? présente dans le titre. Je vais garder de la chair pour mon prochain billet, c’est là que j’exposerai toute ma réflexion sur la vision et la mission derrière ce qu’on appelle affectueusement Jukebox 2.0, mais suffise à dire pour l’instant que notre décision de réimaginer les bières Jukebox à partir de ses fondations a été longue et lente dans son mûrissement, qu’on s’est posé pas mal de questions sur l’amour, la mort, pis toute. La mise à mort de la marque a été évoquée, et l'amour qu’on y a mis dans les dix dernières années a prévalu, en somme, mais non sans avoir à naviguer habilement les eaux tumultueuses de sa propre pertinence au milieu d’un vaste océan de produits similaires. Wow, vous avez vu ça, la métaphore?! Fuckin’ nice, merci. Mais oui, le marché de la bière au Québec est imposant et grandiose dans ses étendues et, bien que ce soit important de se renouveler une fois de temps à autre et de rafraîchir ses habits vétustes, un changement de look semi assumé dans l’espoir de mousser les ventes, ça a un peu l’effet de vaguelettes sur une berge déserte : l’écume se dissipe rapidement et puis de toute façon, y a pas grand monde pour s’y intéresser. Si on était pour rebrander et donner un nouveau souffle aux bières Jukebox, ce serait en créant une forte cohésion entre tous les éléments, du contenu au contenant en passant par la vision, et de porter cette cohésion au devant de tout ce qu’on fait pour assurer une pertinence au fait d’ajouter des bières à l’offre déjà très touffue de produits délicieux facilement accessibles aux amatrices et amateurs. Autrement dit, la renaissance de Jukebox, c’est aussi l’aboutissement d’une introspection profonde sur les enjeux du marché aujourd’hui et sur les raisons pour lesquelles on fait ce que l’on fait. Ça m’a beaucoup plu de cheminer là-dedans dans la dernière année et je sens que ça va me plaire de partager ça avec vous. Ça fera des belles conversations en tout cas.
Je vous laisse là-dessus, c’est l’heure de commencer à boire pour éviter d’avoir trop mal à la tête. Les maux de tête d’avant-midi, c’est les pires. Prochain épisode, je vous dévoile straight up la vision et la mission qu’on a en tête pour Jukebox, le thinking derrière les premières bières et on parlera aussi du visuel, parce que ça, c’est le fun.